L’Étoile de mer
Dès que les plages de la côte méditerranéennes eurent été rendues au public, à la fin de la Seconde Guerre mondiale, celle de Roquebrune-Cap-Martin devint aux beaux jours la destination dominicale privilégiée de la famille Rebutato. On partait de Nice en train, avec les paniers du pique-nique et les cannes à pêche pour passer la journée à l’ombre d’un superbe pin parasol, à l’extrémité de la plage du Buse, à proximité des sources d’eau fraîche s’échappant de l’anfractuosité des rochers.
De la plomberie à la restauration
En 1948, Thomas Rebutato, le chef de famille, plombier-chauffagiste de son état et grand amateur de pêche, réalise son rêve : posséder une parcelle de terre à proximité de la plage pour y installer un cabanon destiné à abriter son matériel et les ustensiles devant permettre de cuisiner sur place le produit de la pêche dominicale. Il acquiert de la famille Devissi un terrain d’environ 2 000 m2 surplombant les rochers, immédiatement à l’est de la plage du Buse. Afin de « rentabiliser » l’acquisition, il imagine alors d’implanter six constructions d’habitat minimum, permettant de passer les fins de semaine en bord de mer. Un architecte niçois établit un projet, les autorisations municipales sont obtenues, et les travaux sont engagés pour réaliser le prototype d’une habitation-type* destiné à la commercialisation du programme.
À l’été 1949, peu de temps avant l’achèvement du prototype, Thomas « bazarde » son entreprise, abandonne le projet de réaliser et vendre les cinq autres unités, et décide d’ouvrir un petit « bistrot – casse-croûte », accessible, depuis le « sentier des douaniers » qui longe le littoral, aux nombreux promeneurs et aux baigneurs qui pique-niquent sur la plage du Buse. Il baptise le lieu « L’Étoile de mer – Chez Robert ».
Le destin frappe à la porte de la toute nouvelle enseigne : le premier client, occupant momentané de la toute proche « villa blanche » d’Eileen Gray et Jean Badovici, propose à Thomas d’y prendre pension pour les repas, pendant une semaine, avec toute son équipe ; il se présente, « Le Corbusier ». De ce jour de juillet 1949, est née l’amitié de Le Corbusier et de son épouse Yvonne pour la famille Rebutato. Ainsi commence l’histoire du site, dont L’Étoile de mer constitue le pivot : elle liaisonne la villa E-1027, isolée sur ce coin de côte depuis 1929, et le Cabanon Le Corbusier qui sera construit en 1952.
* Il s’agit d’un mode constructif très simple : des structures verticales et horizontales en madriers de bois ; des panneaux de remplissage composés de 2 plaques d’Eternit-ciment avec un vide central, de 10 cm environ, rempli de sciure de bois pour l’isolation thermique ; une toiture en Eternit-ciment reposant sur la structure en bois ; les plafonds sont constitués de feuilles d’isorel dur et le sol est en parquet sur vide-sanitaire.
Peintures de Le Corbusier sur la façade de l’Étoile de mer.
Discussion au pied des Unités de camping.
Une halte pour les promeneurs et les vacanciers
Indépendamment de ce prestigieux voisinage, L’Étoile de mer a déroulé son propre parcours. D’abord fréquentée par les campeurs, qui s’installent sur les « restanques » de la propriété, par les pique-niqueurs venant se rafraîchir, et par les joueurs de cartes ou de boules et autres amateurs de « pan-bagnats », elle devient peu à peu un vrai restaurant offrant les spécialités régionales mitonnées par « Madame Robert » et un bar en terrasse particulièrement apprécié des promeneurs de toutes nationalités. À partir de 1957-1958, à la belle saison, les pensionnaires s’installent dans les chambres des Unités de camping.
En 1965, peu de temps après le décès de Le Corbusier, Thomas et Marguerite Rebutato arrêtent la restauration pour ne plus accueillir que les clients du bar et des vacanciers en location dans les Unités de camping. Thomas décède en février 1971 ; le bar et les locations perdureront sous la houlette de Marguerite jusqu’en 1984. L’ensemble de L’Étoile de mer avec les Unités de camping deviendra propriété du Conservatoire du Littoral en septembre 2000, par donation de la famille Rebutato.
Robert Rebutato
Peinture de Le Corbusier sur la paroi de la chambre des Rebutato, avec porte d’accès au Cabanon.
Accès au Cabanon depuis la terrasse de l’Étoile de mer.
Peintures murales
À L’Étoile de mer, partout les murs parlent. Dans le bar, orné des œuvres de Thomas qui évoquent la mer et disent sa passion de la pêche qui stimule son imagination créatrice. Il forgera sa propre technique : un mélange de pigments, d’huile de lin et de colle de poisson qu’il fabrique et qui a remarquablement résisté au temps ; des macaronis trempés dans la peinture et des moignons de pinceaux pour figurer les creux et les pleins et donner l’illusion des écailles et des bulles d’eau. Cette méthode, qui peut être qualifiée d’art brut, séduira le peintre Le Corbusier, qui encouragera Thomas à poursuivre son travail. Celui-ci réalisera une dizaine d’œuvres de format d’environ 50 cm x 60 cm sur contreplaqué, toujours sur le thème de la mer.
Pour les murs de la salle du bar, il utilisait une autre méthode, toujours à base du même mélange, mais avec des tons plus délavés et un brossage plus fin : il laissait sa main découvrir dans les coups de brosse des formes et des visages, qu’il dessinait ensuite et complétait.
Extrait de l’article de Robert Rebutato « L’Étoile de mer, un restaurant au bord de l’eau et ses peintures murales » dans Eileen Gray, L’Étoile de mer, Le Corbusier – Trois aventures en Méditerranée (Archibooks éditeur)